Bonheur portatif

par Philippe Guerry


Février, semaine 9 – Flash-cards, pilonidal, extroquer

26 février
Je cours une dizaine de minutes et mon bobo au mollet se fait à nouveau ressentir. Je parviens à boucler ma course en trottinant et en marchant un peu. 34 minutes. Ces blessures récurrentes sont contrariantes. Je me plonge dans la préparation d’un atelier pour des collégiens la semaine prochaine, sur le thème du fait divers. La commande m’avait surprise, car ce n’est pas vraiment le genre journalistique que je pratique, mais je me pique au jeu et cherche comment amener les élèves à écrire un fait divers qui puisse prendre place dans une fiction policière (c’est la demande précise). Je m’amuse, finalement, et surtout je passe l’après-midi dans La Civilisation du journal, dirigé entre autre par Dominique Kalifa et Marie-Eve Thérenty, passionnant. Je fabrique un petit jeu de flash-cards pour l’atelier et m’étonne que des phrases parfaitement centrées sur l’écran s’impriment un peu n’importe où sur les cartes. C’est sans importance.

Je lis Retour sur un départ manqué, de Grégory Buchert.

Chaque jour dans la voiture, ton œil, glissant sur les motifs d’une province canonique, feuillette (dans les limites de la vitesse autorisée) un livre inconcevable condamné à te rester sur le bout de la langue : tombée du jour sur les cabinets médicaux, clients esseulés devant les distributeurs de pizzas, grand-rues à l’heure du ramassage scolaire, places de villages refaites à neuf, toiture conique des Courtepaille, Logan, Duster et instituts de beauté, Ici, bientôt : une crèche écoresponsable, plats du jour calligraphiés au Posca blanc, brouillard sirupeux des clopes électroniques, pavillons en tuiles romanes, villes fleuries, villes sportives, Internet ou prudentes, climat libidineux des bars-tabacs, mise en lumière du moindre patrimoine, coups d’œil au prix de l’essence, orchidées en vitrine, agents immobiliers touillant leur Coca Zéro, et puis, un vendredi soir, dans le kaléidoscope des pare-brise en eau, le vert des pharmacies, le jaune des Mc Do, le bleu des ambulances privées…

Au moment de me coucher, je cherche à mettre la main sur un dessin de Voutch qui illustre le travail du fait-diversier. Grâce à ma chérie, je le trouve.

27 février
Le matin, le plus souvent, je cours et je lis les journaux des autres. Ce matin, je ne cours pas, j’ai toujours mal au mollet, alors je lis, et je lis Guillaume Vissac :

Écrire ne devrait-il pas être une activité en soi, déconnectée complètement de toute autre dimension (de reprise, de correction, d’ouverture à d’autres via la lecture, de prospection éditoriale, de promotion, de communication, etc.) ? Je veux dire : il y a courir pour se plier à un programme de préparation sportive (entrainement, volonté d’être en meilleure condition physique, etc.), courir pour une performance (marathon, etc.), et il y a courir pour courir.

J’écris quelques articles, et le fait d’avoir travaillé un peu me permet de penser que j’ai travaillé suffisamment. Je vais me faire couper les cheveux. Je n’ai pas droit au siège massant, je suis un peu déçu (j’avais l’espoir que les rouleaux à pâtisserie dénouent par magie mon nœud au mollet.) La coiffeuse me parle retard des clients et sortie de confinement. Je découvre que la jeune rappeuse que je dois interviewer demain est doctorante à l’EHESS.

28 février
Je laisse un message vocal et reçois en même temps un message écrit qui m’informe qu’on me rappellera dans quelques minutes, ce qui m’amène à conclure mon message en disant que j’ai bien reçu le message. En attendant que Benjamin sorte de chez le coiffeur, j’achète un exemplaire de La Bougie du sapeur, journal qui paraît chaque 29 février. C’est nullissime et je regrette immédiatement mon achat. Je reçois la première alerte à l’émission de pollen de l’année. Je mets la main sur un exemplaire d’occase en bon état de Courir, de Jean Echenoz. On passe récupérer un nouveau filtre pour le percolateur, la machine fonctionne à nouveau. Je cuisine un riz cantonais.

29 février
Je me réveille un peu avant mon réveil. J’imprime les 108 petits textes de l’expo que nous allons présenter au muséum. Je fais des essais de collage. Je délègue le découpage/collage aux étudiants, qui ne sont pas très habiles avec un cutter dans les mains. J’observe du coin de l’œil la façon dont ils s’y prennent, j’ai un peu peur du résultat. Ça passe. On termine l’atelier par la saisie des secrets déposés dans la semaine, on en est à près de sept cents. Je découvre à cette occasion ce qu’est un kyste pilonidal, ainsi que cette très belle invention involontaire, « extroquer », quelque part entre « escroquer » et « extorquer ». J’empaquette mes petites étiquettes de carton-mousse dans un tote-bag et j’essaie tant bien que mal de protéger cette cargaison fragile de la pluie.

1er mars
Je ne cours toujours pas, je repose mon mollet et il flotte dru. Je vais voir sur place ce qu’il en est de cette « micro-ferme urbaine » sur laquelle je dois écrire un article. C’est un vaste enclos où poussent des fèves dans un parc de la ville. Pour l’instant ce n’est pas spectaculaire. En revanche, c’est la gadoue, l’herbe haute est mouillée de la pluie du jour et j’ai vite les pieds trempés dans mes Docs. Je passe chercher les grandes feuilles de cartonnette commandées à la papeterie. Chaque feuille (trois au total) est emballée à plat dans du carton épais. Je ressors du magasin avec l’équivalent de trois grands cartons à dessins, je ne suis pas certain que tout va rentrer dans la voiture. Nous regardons Le théorème de Marguerite, de Anna Novion.

2 mars
Il pleut sans discontinuer. Je survole Les Miscellanées de Mr. Schott, de Ben Schott et je m’attendais à autre chose. J’aime bien les listes de tout et n’importe quoi mais il m’a manqué un je ne sais quoi de poésie. Je bouquine (des passages dans La Civilisation du journal) et bouine sur internet (le début d’un film sur Arte, une grille de Sudoku) tout l’après-midi. Je ne surveille pas le lait sur le feu et il déborde, c’est l’événement saillant de cette journée paresseuse.

3 mars
Nous marchons deux bonnes heures le long de la mer. Il fait beau, à la différence d’hier. Nous ne sommes pas tout seul à nous promener. Nous mangeons dehors.